Complètement mytho : interview de l’auteur

Pour le mois de la mythologie, le Livre de Poche Jeunesse vous propose de découvrir l’interview d’Annie Collognat, l’auteur de « Complètement mytho ».

Dans Complètement Mytho, vous revisitez l’univers mythologique en choisissant un angle original, puisque ce sont des dieux qui y sont interviewés. Pourquoi avoir choisi cette forme de narration particulière ?
La mythologie, c’est la construction d’un monde où l’imagination efface les frontières entre le naturel et le surnaturel. C’est un espace de création et de liberté : il n’y a pas de « doxa », pas de maître à penser, pas de texte à suivre « au pied de la lettre » : chacun peut s’approprier la matière mythique pour la réinterpréter. Ce dont témoignent les artistes au fil des siècles, jusqu’aux auteurs et réalisateurs contemporains. Alors pourquoi pas aller interviewer les principales divinités qui peuplent le monde des Anciens ? Après tout, Ovide l’a déjà fait quand il se prend à interroger le dieu Janus qui lui est apparu brusquement (Fastes, Livre I, vers 89 sq.).
Beaucoup plus modestement, j’ai souhaité mettre en valeur les sources littéraires de la mythologie classique dite « gréco-romaine » en leur donnant un cadre souple et familier, celui de l’entretien « à bâtons rompus » qui fait passer l’information par le filtre du dialogue. Une petite mise en scène et un jeu de questions/réponses « ciblées » permettent d’attirer l’attention sur tel ou tel point, ou encore de développer un aspect du mythe particulièrement important. En accord avec sa dimension symbolique, le personnage de Moïra, figure du Destin, déroule « le fil d’Ariane » qui guide le lecteur dans le dédale des récits et traditions mythologiques.
De manière générale, il me paraît toujours nécessaire d’aborder la mythologie classique dite « gréco-romaine » en lisant les auteurs antiques, poètes et mythographes, car ils lui donnent non seulement sa matière et sa structure, mais aussi une saveur et une « couleur » sans égal. C’est pourquoi j’ai accompagné mon texte de nombreuses traductions en essayant de rester fidèle à « l’esprit » plus encore qu’à « la lettre ». Par exemple, prenons l’Iliade, le premier et sans doute le plus grand chef-d’œuvre de la littérature : tout est là, le sublime et le burlesque, le pathétique le plus poignant et le comique le plus inattendu ; on y trouve les prémices de tous les genres et de tous les codes littéraires (récits, dialogues, épopée, roman, théâtre, utilisation du « flash back », ellipse narrative, etc.). Dans l’Iliade, les dieux vivent comme des hommes, les hommes sont de plain-pied avec les dieux : les uns et les autres dialoguent en toute familiarité, au sens latin du terme familia, c’est-à-dire comme une grande famille liée par les mêmes préoccupations, joies, doutes, espoirs, peurs, peines. Je pense qu’Homère aurait pu inventer aussi la forme narrative de l’interview qui pousse l’interlocuteur à se dévoiler : d’une certaine façon, c’est ce qu’il a fait en multipliant les face à face divins ou héroïques. Les scènes de ménage entre Zeus et Héra, les vantardises d’Arès ou d’Athéna, les pitreries d’Hermès, c’est à lui qu’on les doit…

Selon vous, que peut apporter la mythologie aux jeunes d’aujourd’hui ?
À une époque où ce que l’on appelle la « fantasy  » - un terme anglais directement issu du grec phantasia, la capacité de créer par l’imagination – connaît un succès toujours croissant en littérature et au cinéma, il est important que les jeunes lecteurs, friands de ce genre littéraire aux ramifications multiples, découvrent et comprennent combien il est tributaire de la mythologie antique.
Que ce soit Tolkien, le « père » très vénéré de l’heroïc fantasy avec son Seigneur des anneaux, J. K. Rowling la « mère » du célébrissime Harry Potter, ou encore Stephanie Meyer et Rick Riordan, créateurs l’une de la série des Twilight, l’autre de celle des Percy Jackson, tous, à des degrés divers, ont su puiser dans le stock des bonnes vieilles recettes mythologiques. Dans leurs ouvrages, tout comme dans les contes de fées, héritiers directs des récits mythologiques, le merveilleux « enchante » le lecteur au sens premier du terme. En revenant à la tradition mythique fondatrice, au plus près des textes antiques, grecs et latins, ce même lecteur perçoit l’importance des archétypes et leur transmission dans l’imaginaire culturel occidental : il peut observer l’élaboration des mythèmes, selon la définition de Claude Lévi-Strauss, et « décoder » leur mode de fonctionnement (voir, entre autres, la structure des récits de création, la mise en scène des luttes pour le pouvoir, les principes de magie et de métamorphose).
Lire les récits de la mythologie antique contribue donc à former ce que l’on a coutume d’appeler « l’esprit critique » dans tous les domaines artistiques. Quel plaisir, en effet, pour un lecteur / spectateur « averti » de comprendre un clin d’œil mythologique dans une histoire (par exemple, le chien Touffu, avatar de Cerbère dans Harry Potter à l’école des sorciers) ou le sujet d’une œuvre d’art lorsqu’il visite un musée (à ce titre, les illustrations qui accompagnent notre ouvrage offrent l’occasion de diverses analyses d’image)… Au-delà d’une richesse culturelle inépuisable, la mythologie, c’est aussi une invitation à réfléchir sur ce qui fait l’homme, saisi dans ce qu’il a de plus intime et de plus intemporel : le désir, la violence, la mort, la quête de l’absolu, le dépassement de soi…

N.B. Selon la nomenclature officielle, le terme fantasy a reçu pour équivalent en français le nom féminin « fantasie » avec la définition suivante « Genre d’origine anglo-saxonne situé à la croisée du merveilleux et du fantastique, qui prend ses sources dans l’histoire, les mythes, les contes et la science-fiction ». Voir « Vocabulaire du patrimoine et de la création contemporaine (liste de termes, expressions et définitions adoptés) » sur Legifrance.gouv.fr

Vous avez enseigné le grec et le latin du collège aux classes préparatoires. Cela vous aide-t-il à mieux cerner les attentes de vos lecteurs et à y répondre dans vos écrits ?
Enseigner les langues et cultures de l’Antiquité, selon la terminologie actuelle des programmes officiels, c’est à la fois une mission et une vocation : transmettre un héritage fondateur, donner les outils nécessaires pour accéder à cet héritage, au plus près des documents, qu’il s’agisse de textes, d’images, d’objets, de monuments et de vestiges variés, mais aussi faire prendre conscience de la place et de l’importance de l’antique dans le moderne. La mythologie, tout particulièrement, séduit les élèves : pour les raisons que j’ai déjà évoquées, ils se passionnent pour les histoires de dieux, de héros et de monstres. Pour moi, la mission de l’auteur rejoint celle du professeur : faire découvrir la matière antique sans la dénaturer, entretenir le goût de la lecture tout en préservant le plaisir de la découverte.

La saga Percy Jackson, qui aborde la mythologie sous un angle très différent, connait aujourd’hui un grand succès auprès du jeune public. L’avez-vous lu ou vu au cinéma ? Si oui, qu’en avez-vous pensé ?
J’ai vu l’adaptation au cinéma du premier volume de cette série (Le Voleur de foudre, 2010). J’ai trouvé cette façon de transposer la mythologie grecque plutôt astucieuse : un teenager bien américain qui se découvre fils de Poséidon, pourquoi pas ? surtout si cela peut amener les spectateurs à (re)lire les auteurs antiques, comme je le disais précédemment. Pour les professeurs, cela peut-être une bonne occasion de faire réfléchir les élèves aux modes de transmission et de transposition de la matière mythique. Pour ma part, j’ai particulièrement apprécié l’épisode de la Méduse, interprétée par Uma Thurman : l’idée d’utiliser le reflet d’une coque de téléphone portable à la place d’un bouclier bien poli m’a paru très amusante.

Enfin, la question que tout le monde est en droit de se poser : parmi les dieux interviewés par vos soins, lequel préférez-vous ?
Hypnos, le Sommeil, sans hésiter. Il fait partie de ces divinités qui jouent le rôle de « fonctionnaires » en service commandé : certes, il n’a pas le prestige des Olympiens, c’est un dieu peu ou mal connu, pourtant il mérite qu’on l’écoute avec attention. Homère lui donne une dimension burlesque très amusante. Mais c’est aussi un personnage fascinant, entre poésie et psychanalyse : fils de Nyx, la Nuit, frère jumeau de Thanatos, la Mort, il incarne le pouvoir proprement onirique des songes. Ovide décrit son palais et ses fils, dont le fameux Morphée, capable de prendre toutes les formes : on le retrouve dans l’histoire tragique de Céyx et Alcyone, l’une des plus émouvantes des Métamorphoses (Livre XI, vers 592 sq.). Hypnos, c’est « le maître des clés », celui qui ouvre les portes vers une autre vie : une vie où tout devient possible, comme dans l’imaginaire des mythes. Une belle occasion de lire ou de relire l’éblouissant incipit d’Aurélia de Nerval :
« Le Rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer sans frémir ces portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l’image de la mort ; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l’instant précis où le moi, sous une autre forme continue l’œuvre de l’existence. C’est un souterrain vague qui s’éclaire peu à peu et où se dégagent de l’ombre et de la nuit les pâles figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres ; - le monde des Esprits s’ouvre pour nous. »


Découvrez également les interviews des dieux et déesses de la mythologie issues du dictionnaire "Complètement mytho" d’Annie Collognat en cliquant ici.

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